Blog Crossroads 22 Fév, 2022

Pour sauver l’antilope addax, le secteur pétrolier et le gouvernement doivent collaborer avec les acteurs de la conservation

L’antilope addax du désert est peut-être le mammifère ongulé le plus rare du monde, avec seulement 100 individus restant à l’état sauvage. Malgré la prospection et l’extraction pétrolière à l’intérieur et autour de leur dernier habitat, des efforts de conservation peuvent encore sauver l’espèce de l’extinction si les agences gouvernementales, les grandes entreprises, les communautés locales et les ONG travaillent ensemble, selon le Groupe de Spécialistes des Antilopes de la CSE de l’UICN

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Photo: Tim Woodfine

A reintroduced addax in Djebil National Park, Tunisia

L’addax (Addax nasomaculatus), en danger critique d’extinciton,  est une antilope vraiment adaptée au désert – la seule de son genre (groupe d’espèces) – dotée de tout le potentiel évolutif que cela implique pour s’adapter au changement climatique dans notre monde en mutation. L’espèce était auparavant abondante dans de vastes espaces du Sahara, mais la sur-exploitation illégale et le harcèlement ont entraîné une diminution rapide de sa population au cours du demi-siècle écoulé.

Depuis 2007, alors qu’on estimait qu’il restait encore  200 à 300 individus, il y a eu une chute brutale des observations directes, des traces et des signalements locaux. Cette chute récente coïncide avec le début de la prospection et de la production pétrolière et une augmentation du nombre de personnes qui traversent l’habitat de l’addax. Avec ces pressions exacerbées par les préoccupations de sécurité régionale, l’on pense qu’il reste moins de 100 individus – et peut-être même moins de la moitié de ce chiffre – qui survivent à l’état sauvage aujourd’hui. Il existe par ailleurs dans le monde une importante population d’addax en captivité, qui est devenue une source de réintroduction de l’espèce au Maroc et au Tchad depuis 2019.

L’aire de répartition de l’addax dans le désert de Tin Toumma se trouve maintenant hors de l’aire protégée.

Au début des années 2000, la seule population restante viable d’addax se trouvait dans le désert de Tin Toumma à l’Est du Niger qui avait été intégrée en 2012 dans la Réserve Naturelle Nationale de Termit et Tin Toumma (RNNTT), alors que certains de ces addax passaient la frontière pour entrer au Tchad. Cependant, en juin 2019, le Gouvernement du Niger a redéfini les frontières de la RNNTT, excluant de la réserve  environ 50 000 km² dans la partie est de la réserve afin d’éviter le chevauchement avec les blocs de concessions pétrolières. Pour remplacer la surface déclassée, le Gouvernement a étendu la réserve à l’ouest. La conséquence inattendue de cette mesure est que l’habitat de l’addax dans le désert de Tin Toumma se retrouve maintenant hors de l’aire protégée, de même qu’une grande partie du Massif de Termit et sa population d’une autre antilope en danger critique d’extinction, la gazelle dama (Nanger dama).

Philippe Chardonnet

En janvier 2020, une mission de l’UICN s’est rendue au Niger à l’invitation du Gouvernement pour une consultation sur la sauvegarde de l’addax et sur l’avenir de la RNNTT. Les autorités ont chaleureusement accueilli la mission qui comprenait des représentants du Programme de l’UICN pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre et du Groupe de Spécialistes des Antilopes de l’UICN, une mission soutenue par IUCN Save Our Species Rapid Action Grant via Marwell Wildlife. Les experts de l’UICN ont proposé une série de recommandations pour assurer la conservation de l’addax et de la gazelle dama.

Comment sauver une population d’antilopes extrêmement mobile, alors que le repérage des individus s’apparente à chercher une aiguille dans une botte de foin?

C’est là que réside le principal défi: comment sauver une population extrêmement mobile d’antilopes confrontées à des menaces dont l’élimination nécessite aussi bien une volonté politique forte que des contributions sociétales, alors que trouver ces animaux s’apparente à chercher une aiguille dans une botte de foin? En outre, le coût de la résolution de ces défis en vaut-il vraiment la peine sachant que l’espèce peut être réintroduite à partir de la population en captivité dans des milieux mieux maîtrisés?

Noé / Abdoulaye Harouna

Comme les experts en témoignent, les réintroductions de grands animaux en captivité  dans des sites éloignés sont des opérations coûteuses et difficiles aux plans techniques et logistiques, et qui ne sont pas sans risques. Il s’avère aussi que les populations d’addax en captivité dans le monde sont génétiquement appauvries par rapport aux addax sauvages du Niger. En plus de la diversité génétique des addax sauvages survivants, leurs capacités d’adaptation continue à leur environnement ainsi que leur connaissance du milieu, font d’elles une population précieuse sans équivalent. Par conséquent, même si les réintroductions jouent un rôle important dans la conservation de l’addax, la préservation des derniers animaux encore à l’état sauvage demeure néanmoins fondamentale.

Le principal défi pour l’addax sauvage est d’éliminer le braconnage et le dérangement excessif dans la région désertique où survit la dernière population. Cela comprend le renforcement des capacités de lutte anti-braconnage dans la réserve et l’extension des mesures de protection ciblées dans l’ensemble de l’aire de distribution de l’addax, depuis la limite est de la réserve jusqu’à la frontière avec le Tchad, éventuellement soutenues par le suivi satellitaire des animaux sur leurs voies de migration. Il serait également possible de protéger un petit groupe d’addax reproducteurs au Niger dans des conditions de captivité ou de semi-captivité, avec une gestion appropriée pour préparer des individus à la réintroduction. Aucune de ces interventions n’est facile à mettre en œuvre dans un milieu désertique lointain et rude, mais il est temps d’agir s’il reste encore un espoir d’éviter cette extinction qui sera inéluctable dans le cas contraire.

Toutes les solutions nécessitent un leadership et une orientation de la part de l’Etat et des communautés locales, y compris la coopération transfrontalière entre le Niger et le Tchad, et l’appui coordonné du secteur privé, des ONG et des bailleurs de fonds. Dans un paysage qui génère d’importants revenus de l’extraction du pétrole, le rôle du secteur pétrolier est essentiel là où leurs zones opérationnelles se recoupent avec l’aire de répartition de l’addax. Dans ce scénario, il n’y a pas d’incompatibilité inhérente entre l’extraction du pétrole et la conservation de l’espèce – l’addax ayant juste besoin d’être protégé de l’abattage et du dérangement, ce qui est tout à fait compatible avec les politiques des entreprises et les responsabilités juridiques de sauvegarde de l’environnement. Parmi la communauté des ONG, les acteurs clés sont Noé Conservation, qui gère la RNNTT pour le compte du Gouvernement Nigérien, et le Sahara Conservation Fund qui a collecté une grande partie des informations écologiques nécessaires pour le classement de la réserve en 2012 et qui a une solide expérience en matière d’études et de suivi de la faune sauvage au Niger et dans la région.

Dans un contexte d’extrême adversité, sauver l’addax sauvage pourrait promouvoir un modèle de collaboration entre des agences gouvernementales, de grandes entreprises, des communautés locales et des ONG.

Sauver les derniers addax sauvages au Niger est l’étape la plus urgente dans la feuille de route pour la conservation de cette espèce. En même temps, les opérations de réintroduction en cours au Maroc et au Tchad, ainsi que la gestion des addax entre les populations relâchées dans trois aires protégées en Tunisie, offrent l’occasion de réintégrer l’espèce dans ces écosystèmes arides et de récupérer une partie de son aire de répartition historique. Comme le reconnaissent ces pays, la situation critique de l’addax est symptomatique des pressions exercées sur les précieux écosystèmes du désert qui ont été négligés et sous-évalués à l’échelle internationale.

Brent Huffman / Ultimate Ungulate

Dans un contexte d’extrême adversité, sauver l’addax sauvage permettrait de promouvoir un modèle de collaboration entre des agences gouvernementales, de grandes entreprises, des communautés locales et des ONG. Autrement, la perte de la dernière population sauvage de cet animal unique serait une tragédie, non seulement pour la région, mais pour la planète toute entière.

La participation du Groupe des Spécialistes des Antilopes de la CSE à  la mission de l’UICN au Niger, ainsi que son Rapport et ses Recommandations , ont été co-financés par l’ Union Européenne à travers IUCN Save Our Species. Le contenu de ce blog ne reflète pas nécessairement les points de vue de l’Union Européenne.

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