Le directeur général adjoint de l'OMC parle de la longue et importante relation entre la conservation des océans et le commerce mondial
Le directeur général adjoint de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Jean-Marie Paugam, a donné une nouvelle perspective sur la conservation des océans en expliquant la relation très étroite entre le système commercial international représenté par l'OMC et la question de la préservation des océans, ce dont de nombreux défenseurs de la nature et le grand public ne sont peut-être pas encore conscients.
Excellences, Mesdames et Messieurs
Je vous remercie de votre invitation à m'exprimer au nom de l'organisation mondiale du commerce (OMC) sur le rôle du commerce international dans la promotion d'une économie durable des océans.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'il y a une relation consubstantielle entre la mer et le commerce international - aujourd'hui encore le transport maritime effectue 80 à 90% du mouvement international des marchandises - mais peut-être serez-vous intéressé de découvrir qu'il y a aussi une relation tout à fait intime entre le système commercial international que représente l'OMC et l'enjeu de préservation des océans.
Cette relation est d'abord historique. L'initiative de l'Union Internationale pour la protection de la nature et celle du GATT – l'ancêtre de l'OMC – ont été négociées parallèlement et ont abouti presque simultanément, le GATT en 1947, l'UICN en 1948.
Et ces deux négociations se sont fécondées mutuellement, puisque la prise en compte de l'enjeu environnemental dans le GATT s'est faite sous la forme d'une exception aux règles du commerce international : en d'autres termes, au nom de l'environnement et sous réserve de bonne foi, on a le droit de mettre des "feux rouges" au flux des marchandises et des services. Ce qui veut dire que dès l'origine le système commercial a reconnu que l'environnement avait une valeur supérieure à celle du commerce. Or, il se trouve que le mot d'environnement n'existait pas à l'époque, en tout cas pas au sens contemporain et cette exception environnementale a était formulée dans les termes exacts qui ont fondé l'UICN à savoir la "conservation des ressources naturelles". Donc l'exception environnementale du GATT, si j'ose dire, c'est l'UICN qui l'a très largement inspirée.
Mieux encore et, je reviens par là à la question de l'océan, qu'avait-on en tête lorsqu'on parlait à l'époque de conservation des ressources naturelles? Justement, c'était d'abord la protection de la mer ou, plus exactement, si je cite les termes exacts de la charte de la Havane (l'ancêtre du GATT), les "mesures prises en application d'accords intergouvernementaux qui ont pour seul but la conservation des ressources des pêcheries, la protection des oiseaux migrateurs ou des animaux sauvages". Il y avait eu en 1946 une convention sur la taille des filets de pêche et les tailles minimales des poissons et une autre sur la chasse à la baleine.
Donc ce que les négociateurs du GATT avaient à l'esprit était précisément ces premières conventions internationales sur l'environnement qui avaient trait à la protection des ressources halieutiques.
Alors où en sommes-nous aujourd'hui après ce détour historique? Et bien presque au même point ! La protection des océans demeure la préoccupation environnementale numéro 1 de l'OMC. Mais il y a toutefois un progrès fondamental depuis : c'est que l'organisation ne regarde plus le sujet comme seulement la justification d'une exception aux règles commerciales, mais, en plus souhaite jouer un rôle actif pour la préservation des océans.
De quelle manière peut-elle y contribuer? J'en viens là à mon cœur de propos.
Il y a trois grands sujets identifiés par nos membres et qui touchent directement à l'exploitation durable des océans. Je les traite par ordre de maturité décroissante car ils ne sont pas situés au même niveau.
Le premier, le plus important, est celui des négociations pour la réforme des subventions à la pêche. Ces négociations durent depuis vingt ans. En 2015 elles ont été portées au niveau d'un objectif de développement durable, l'ODD 14.6, mandaté par les chefs d'Etats, qui ont instruit l'OMC de parvenir à un accord. La conclusion de cette négociation, qui est aujourd'hui en phase finale, représente la priorité numéro 1 de l'organisation et nous espérons que l'accord par être trouvé d'ici la fin de l'année, avant notre réunion ministérielle de Novembre prochain. Il aura pour objet d'interdire les subventions aux navires pratiquant la pêche illégale, non reportée et non réglementée et de réformer les subventions qui contribuent à la surpêche et aux surcapacités, tout en tenant compte des besoins particuliers des pays en développement, au titre de ce que l'on appelle le traitement spécial et différencié.
C'est un enjeu environnemental, humain et économique majeur.
Environnemental, car l'océan couvre 70% de la surface terrestre mais que la FAO estime que 33% des prises correspondent à de la surpêche, contribuant à la disparition des stocks. Une recherche originale conduite par la France, le projet Ocean Sentinel, qui a utilisé des Albatros pour détecter les navires susceptibles de pratique la pêche illégale, a montré que près du tiers des bateaux éteignaient leurs balises dans la zone de l'expérience : c'est considérable.
Humain, parce que près de 3 Milliards de personne vivent à proximité des côtes et que le poisson est extrêmement important dans l'alimentation.
Economique, car environs 350 millions d'emplois dans le monde sont liés aux captures maritimes et 90% des pêcheurs vivent dans des pays en développement.
Donc réformer ces subventions nuisibles contribuera à améliorer la situation sur ces trois fronts, sans compter la possibilité de réallouer ces fonds publics au soutien à des activités durables dans l'économie bleue.
Or, seule l'OMC peut atteindre ce résultat. Pourquoi? Parce qu'elle est globale. Le poisson ne respecte pas les frontières dont, il ne servirait pas à grand-chose de réformer les subventions dans une partie du monde, si on laisse l'autre partie pratiquer la surpêche. Si je n'avais qu'un message à formuler ici au Congrès de l'UICN ce serait pour solliciter le soutien de tout un chacun pour encourager les gouvernements engagés dans ces négociations à atteindre un résultat ambitieux.
Le second sujet touchant à la santé des océans est encore émergent. Il s'agit de la lutte contre la pollution plastique.
Cette question est identifiée depuis longtemps par de nombreuses organisations internationales dont le PNUE ou la convention de Bâle. Vous connaissez la gravité de la situation, on parle de "7è continent". Sur les stands qui évoquent cette question, ici au Congrès de l'UICN, j'ai pu voir des estimations terrifiantes comme celle qui estime que le poids des déchets plastiques produits chaque année est équivalent à celui de l'humanité toute entière, ou encore qu'il représente le volume d'un camion poubelle jeté à la mer chaque minute.
Depuis deux ou trois ans, il y a eu une prise de conscience de cet enjeu et du fait que le commerce peut jouer un rôle tant dans la dégradation que dans l'amélioration de cette situation. A l'initiative de la Chine et de Fiji, un petit groupe de nos membres a lancé une initiative pour commencer à dialoguer sur cette question. Ces travaux sont exploratoires, ne sont pas des négociations et ne sont encore conduits que par une minorité de membres de l'OMC.
Mais ils ont déjà mis en lumière le rôle de certains flux commerciaux dans la pollution plastique, qu'il s'agisse du commerce du plastique lui-même, ou de celui des biens incorporant du plastique, comme les voitures par exemple qui en sont composées à 50%.
Grâce à ces travaux nous commençons à mieux comprendre comment les politiques commerciales pourraient jouer un rôle pour aider à s'attaquer au problème : par exemple en aidant à réduire les barrières au commerce des biens susceptibles d'équiper les filières de retraitement du plastique ; aussi en examinant les enjeux de compatibilité des normes réglementaires en matière de recyclage ou, ici encore, l'enjeu des subventions dommageables.
Cette semaine, nous avons également accueilli au sein de l'OMC une réunion préparatoire à l'Assemblée des Nations Unies sur l'environnement, qui se tiendra début 2022 et, qui vise à lancer une négociation globale sur la question du plastique. M. Peter Thomson y participait d'ailleurs. C'est donc une conversation qui s'amplifie au sein de l'OMC, elle pourrait déboucher sur de nouvelles initiatives susceptibles de contribuer directement à améliorer la santé des océans.
Enfin, dernier volet, il y a un certain nombre d'idées au sein de l'OMC qui pourraient être mobilisées, plus indirectement au service de la cause océane. Par exemple, il y avait jusqu'en 2016 une négociation sur la libéralisation du commerce des biens environnementaux : l'idée est de baisser les droits de douane et faciliter ainsi la dissémination des technologies correspondantes. Parmi ces biens on peut identifier nombre d'équipements permettant de lutter contre la pollution marine[1]. Cette négociation a été interrompue mais plusieurs gouvernements voudraient la relancer.
Par ailleurs il y a beaucoup d'efforts qui sont conduits au niveau d'autres organisations, telles que l'organisation maritime internationale (OMI) mais aussi le secteur privé pour alimenter les bateaux avec des carburants plus propres et réduire les émissions de souffre. Le groupe CMA-CGM basé ici à Marseille m'a exposé récemment toutes les initiatives qu'il avait pris en ce sens. Ce sont aussi des efforts qui pourraient être présentés dans le cadre des discussions sur l'environnement à l'OMC.
Voila, je m'interromps ici. Mon message central est que parmi tous les instruments de la coopération internationale, les instruments de la politique commerciale peuvent et doivent être mobilisés pour la santé des océans. A court-terme, je le redis, cela passe par un succès des négociations sur la pêche actuellement conduites à l'OMC.
Je vous remercie de votre attention.
[1] Par exemple. radeaux gonflables de récupération des hydrocarbures et barrages flottants de confinement des hydrocarbures (barrières flottantes utilisées pour contenir une marée noire) ; bouées de détection des baleines (bouées intelligentes qui envoient des signaux aux navires lorsque des baleines sont à proximité afin d'éviter les collisions avec les baleines) ; systèmes de traitement des eaux de ballast des navires (pour éviter la propagation d'espèces envahissantes lorsque les navires vident ou nettoient leurs réservoirs d'eau de ballast) ; équipements d'assainissement de l'eau, équipements utilisés pour le recyclage, gestion des déchets ; technologie et équipement de nettoyage des océans