La politique hydro-hégémonique des Etats riverains du Nil: une révolution des rapport de force en Afrique?
Par Dr. Diomande Dro Hyacinthe - « l’Égypte est un don du Nil ». Ce célèbre aphorisme d’Hérodote vient à juste titre pour justifier le partage actuel des eaux. l’Égypte rappelle constamment sur le fondement cet aphorisme son héritage, son lien historique sa très forte dépendance vis-à-vis du Nil contrairement aux États d’amont qui peuvent, notamment profiter d’abondantes pluies équatoriales. Dans sa stratégie d’affirmation de puissance et d’autonomisation, ces travaux devaient faciliter l’alimentation des populations ainsi que le développement des productions d’exportation, en particulier le coton à longues fibres et la canne à sucre, et par là, fournir des matières premières à des industries en développement. Cependant, cette stratégie d’affirmation de puissance est freinée dans son élan par l’apparition de plusieurs acteurs déterminés à reclamer leur part de souveraineté sur cette ressource inestimable, qu’est le Nil.
Introduction
L’eau sera l’enjeu du XXIème siècle, comme le fut le pétrole pour le XIXème siècle, ainsi pensent certains analystes en la matière. Notre mode de consommation actuelle nous pousse à consommer toujours plus. Or lorsqu’une ressource comme l’eau est puisée dans des réservoirs naturels sous terre, l’Homme doit s’attendre à ce que ces ressources s’épuisent. Depuis plus de trois mille ans, le Nil constitue le moteur de l'organisation économique, agricole, sociale et politique de l'Egypte. Grâce aux travaux d'irrigation, les surfaces cultivées augmentent, mais pas aussi vite que ne l'exigerait la croissance de la population. Or la demande de produits alimentaires alourdit les importations de céréales. Par ailleurs, dans les pays jouxtant le Nil, la démographie est galopante et les besoins énergétiques pèsent tout autant sur les pays en amont. Cette situation a poussé certains Etats à aller loin dans leur démarche en négociant des traités de partages des eaux du Nil. C’est le cas du traité signé en 1959 entre l’Égypte et le Soudan dans le cadre des travaux du barrage d’Assouan (voir le texte Le haut barrage d’Assouan et le lac Nasser sèment-ils la discorde ?) qui gouverne aujourd’hui le partage des eaux du Nil. Ce traité, basé sur un débit estimé à 85 milliards de mètres cubes à la hauteur d’Assouan, en attribue 55,6 à l’Égypte et 18,5 au Soudan – un partage qui reflète la différence de population entre les deux pays ainsi que leur volonté et leur capacité de l’époque à utiliser l’eau à des fins agricoles et économiques.[1] A partir de la fin du XIXe siècle, ce traité s’inscrivait dans la lignée de différents accords signés à l’époque coloniale, accords qui portent témoignage du privilège accordé par les autorités britanniques à l’Égypte et à ses besoins en eau par rapport aux pays d’amont. En 1891, à l’occasion du protocole de Rome signé entre l’Italie et la Grande-Bretagne sur les frontières entre l’Érythrée et le Soudan, il a par exemple été déclaré dans l’une des dispositions que les autorités coloniales italiennes s’abstiendraient d’ériger une quelconque structure sur le fleuve Atbara, dernier grand affluent du Nil avant la mer Méditerranée, de manière à ne pas en diminuer le débit. Le dernier grand traité de la période colonial fut conclu entre l’Égypte et le Soudan (à l’époque occupé conjointement par l’Égypte et la Grande-Bretagne) en 1929, et met encore une fois en avant la primauté des besoins égyptien et le « droit naturel » de ce pays aux eaux du Nil. Il soumettait notamment tous les projets de barrage ou de détournement d’eau en amont à l’approbation préalable des autorités égyptiennes. Le débit du fleuve à Assouan était réparti ainsi: 48 milliards de mètres cubes pour l’Égypte, 4 milliards pour le Soudan, 32 milliards continuant à aller jusqu’à la mer Méditerranée.[2] C’est ce dernier partage qui fut révisé en 1959 au bénéfice principalement du Soudan, dans une mesure moindre de l’Égypte (voir le texte Le delta du Nil face au réchauffement climatique). Le traité de 1959 fut signé à une époque où les infrastructures de tous les pays situés en amont étaient très peu développées, et leur population proportionnellement moindre qu’elle ne l’est actuellement. Les projets de ces derniers pour développer leurs installations et construire des barrages sur le Nil et ses affluents auraient pour effet de réduire le débit du fleuve au barrage d’Assouan, et donc potentiellement de diminuer la quantité d’eau disponible pour l’Égypte. L’Égypte refuse catégoriquement toute perspective de voir remettre en cause sa part des eaux du Nil et laisse régulièrement entendre qu’elle est prête à envisager des actions militaires pour faire respecter ce qu’elle estime comme ses droits – or elle est de loin la première puissance de la région dans ce domaine. autour d’un tel sujet d’actualité comporte un intérêt politique, juridique voire environnemental majeur pour cette partie du continent en ce sens qu’il permet de comprendre les différents enjeux géopolitique, géostratégique et juridique du Nil dans partie de l’Afrique. Par conséquent, l’on se pose la question à savoir s’il existe véritablement une hydro-hégémonie absolue des Etats riverains sur le Nil. Nos axes de reflexions porterons d’abord sur l’affirmation hydro-hégémonique apparemment absolue autour des enjeux du Nil (I) et ensuite sur l’infirmation confirmée de cette hydro-hégémonie autour des enjeu du Nil (II).
I. Affirmation hydro-hégémonique apparemment absolue autour des enjeux du Nil
A. Le Nil: un enjeu présenté comme primordial relevant de la « sécurité nationale » en Égypte
Dans l'imaginaire populaire, qui dit Nil dit Egypte. A tel enseigne même qu’un célèbre aphorisme d’Hérodote déclare: « l’Égypte est un don du Nil ». Pour justifier le partage actuel des eaux, l’Égypte rappelle constamment sa très forte dépendance vis-à-vis du Nil contrairement aux États d’amont qui peuvent notamment profiter d’abondantes pluies équatoriales. Dans une stratégie d’affirmation de puissance et d’autonomisation, ces travaux devaient faciliter l’alimentation des populations ainsi que le développement des productions d’exportation, en particulier le coton à longues fibres et la canne à sucre, et par là, fournir des matières premières à des industries en développement. Sous Mohamed Ali, de grandes canalisations furent ainsi établies, mais le premier barrage construit pour rehausser les eaux du Nil en période d’étiage ne fut cependant envisagé qu’en 1840, avant d’être réalisé entre 1860 et 1880 dans le delta, c’est-à-dire sous le règne du khédive, ou vice-roi, Ismaïl. Le barrage, qui portait le nom de son grand-père, Mohamed Ali, fut érigé à l’endroit où le Nil se sépare en deux branches, Rosette et Damiette. Ceci devait relever le niveau des eaux aussi, faciliter l’irrigation.
La construction du barrage dans les années 1960 fut donc une revanche sur l’histoire. « La construction du Haut Barrage, qui apporte le témoignage de la volonté d’une nation et de la détermination d’un peuple, marque notre totale victoire sur l’impérialisme et l’exploitation. Elle constitue un nouvel aspect de notre évolution ». [3] Avec une population de 20 millions d’habitants croissant à un rythme de 3 % par an, la sécurité alimentaire, que l’on faisait rimer à l’époque avec l’autosuffisance alimentaire, paraissait atteignable en augmentant la productivité agricole. Cet ouvrage était le pendant de la réforme agraire lancée dès 1952 par le nouveau pouvoir égyptien.[4] Ce dessein, né dans les années 1950 et porté dans les années 1960, paraissait d’autant plus souhaitable que l’Égypte se trouvait fortement dépendante pour ses approvisionnements alimentaires, en particulier en céréales, qui constituaient – et constituent encore – la base du régime alimentaire national.
B. Le Nil: un enjeu pour la reconstruction de l' économie du Soudan
En 1957, face à l’intransigeance des dirigeants égyptiens, le Soudan opéra donc un rapprochement avec l’Ethiopie qui cherchait elle aussi cette alliance pour affirmer ses propres prétentions face à l’Egypte. Les dirigeants soudanais, conscients que négocier en tête-à-tête avec Le Caire n’était pas à leur avantage, espéraient faire plier l’Egypte grâce à l’aide de l’Ethiopie. De leur côté, les responsables égyptiens, certains que l’Ethiopie représentait un danger, exigèrent que les négociations se passent d’abord de manière bilatérale avant d’entamer des négociations avec d’autres pays riverains. Ce fut le fnancement du Haut-Barrage d’Assouan par l’URSS qui permit de débloquer la situation. L’Egypte put débuter son chantier pour imposer un fait accompli au Soudan. Ce dernier accepta donc un partenariat forcé avec Le Caire. En efet, Khartoum avait besoin de financements extérieurs pour financer ses projets de barrages, or aucun pays ou organisme international n’était prêt à l’aider sans la signature préalable d’un accord entre le Soudan et l’Egypte.[5] Cet accord marque le passage d’une hydro-hégémonie égyptienne à une hydro-hégémonie partagée entre le Soudan et l’Egypte. En effet, s’il fut souhaité par le Soudan, l’accord de 1959 ne disconvenait finalement pas à l’Egypte. Engagée alors dans le projet de barrage d’Assouan, elle souhaitait, en effet, renforcer ses droits en termes de volumes de prélèvements.[6] Ainsi, à l’inverse d’un jeu à somme nulle, le résultat fut avantageux pour les deux Etats signataires. Le droit de veto sur les aménagements en amont, déjà dévolu à l’Egypte, était étendu au Soudan. En plus, le Soudan et l’Egypte s’étaient réparti avantageusement des quotas de prélèvements sur le Nil : 75,7 % du débit annuel – mesuré à Assouan – pour l’Egypte et 24,3 % pour le Soudan, soit respectivement 55,5 milliards de mètres cubes et 18,5 en année moyenne.[7] L’Egypte gagnait ainsi 7,5 milliards de mètres cubes et le Soudan 14,5. Outre la reconnaissance des droits de ces pays, Khartoum et Le Caire s’autorisaient à construire chacun un barrage : le barrage de Roseires au Soudan et le barrage d’Assouan en Egypte.
L’Accord de 1959 fut très mal considéré par les Etats d’amont. L’Éthiopie est le pays qui était le plus concerné par cet accord soudano-égyptien, car c’est sur son territoire que se forme l’essentiel du débit du Nil avant de traverser le Soudan puis l’Egypte. Avec le Nil bleu, l’Atbara et une partie du Sobat, les hauteurs éthiopiennes fournissent en efet 86 % du débit du Nil. Le reste provient des autres pays riverains, mais surtout du Soudan. Dans ce pays se forme le Bahr al-Ghazal qui rejoint le Sobat pour former l’essentiel du Nil Blanc dont la confuence avec le Nil Bleu se fait à Khartoum. Avant que le Sobat et le Bahr alGhazal se rencontrent au Soudan, les eaux venues des pays d’amont (Rwanda, Tanzanie, Burundi, Kenya) se perdent en partie dans des marais situés au sud du Soudan. Ainsi, ces pays d’amont ne comptent pas beaucoup dans les volumes du cours inférieur du Nil. Ils auraient cependant, pu compter davantage si le Soudan et l’Egypte avaient réussi à édifier le canal de Jonglei supposé permettre l’écoulement du Nil Blanc entre les villes soudanaises de Malakal et de Bor. En effet, le cours du Nil Blanc (encore appelé Bahr el-Jebel, la rivière de la montagne) se perd dans les vastes marais de la région de Sudd, produits par la présence d’un sol à forte teneur d’argile. L’évaporation y est d’autant plus forte que la déclivité y est très faible et les températures élevées.
Cette hégémonie des Etats en aval du Nil en l’occurrence celle de l’Egypte pourrait elle connaitre un certain bémol par l’entrée en scène de nouveaux acteurs?
II. Infirmation de cette hydro-hégémonie autour des enjeux du Nil
A. Infirmation avec l’entrée en jeu de l’Ethiopie
Aujourd’hui l’Egypte découvre les affres de la contestation hydro-politique. En effet, alors qu’elle fait face à de très fortes urgences politiques et économiques, l’Egypte se voit contestée à l’extérieur, les pays d’amont remettant en question ses « droits historiques » sur le Nil. Selon les pays d’Afrique de l’Est en leur souhait le plus ardent serait bien évidemment de renégocier ou abolir les traités en place, qu’ils jugent anachroniques et marqués du sceau de l’époque coloniale, et surtout qui ignorent complètement leurs intérêts.
Le stockage de l’eau sous des climats moins chauds devait permettre de limiter l’évaporation par rapport à ce qui fut fait par la suite dans la région d’Assouan. Cette rationalité hydrologique fait donc partie du discours actuel en Ethiopie. Il n’empêche : si, à long terme, la construction de barrage ne devrait pas vraiment avoir d’incidences sur le débit en aval – car l’hydroélectricité est préférée à l’irrigation, la phase de remplissage du barrage de la Renaissance pourrait plus ou moins l’affecter selon sa durée.
La montée en puissance de l’Ethiopie, ce véritable château sur le grand fleuve africain, constitue un changement majeur dans la région. Autour de ce pays, les Etats d’amont se sont progressivement coalisés pour contester le monopole de l’Egypte et du Soudan sur les eaux du Nil, précisé par les accords de 1959. Cette coalition d’intérêts regroupant d’abord l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda et la Tanzanie a débouché le 14 mai 2010 (Burundi et RDC en 2011) sur la signature d’un accord sur les eaux du Nil[8]. En effet, ces Etats, en 2010, ont convenu à Entebbe d’un Accord-Cadre de coopération pour accroître l’utilisation des eaux du Nil, notamment par des aménagements. Face au doublement annoncé de leur population en 2050, les États riverains ne peuvent plus laisser leurs ressources hydrauliques « en friche ». Le blocage de l’Égypte, dont les effectifs n’augmenteront que de 50 %, leur devient insupportable. L’Éthiopie a opposé aux « droits historiques » son histoire bimillénaire, dont « son » Abbay est le cœur, et a impulsé la coalition de l’amont qui bouleverse les rapports de force en Afrique du Nord-Est.[9] Le 23 mars 2015 à Khartoum, l’Égypte de Sissi et le Soudan de Béchir ont reconnu à l’Éthiopie de Haylä Maryam Dässaläñ, le droit de construire le Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne sans même attendre les conclusions de l’étude d’impact commandée à une commission technique internationale. Depuis la chute de Moubarak, l’Égypte est affaiblie et la sécession du Sud prive le Soudan d’un tiers de son territoire, de 85 % de ses ressources pétrolières et du bassin du Nil blanc.[10]
Ce texte qui tend de facto à abroger le traité élaboré en 1929 et amendé en 1959 est l’aboutissement d’une discussion entamée dès 1997 entre pays riverains. Pendant cette année-là, le droit international de l’eau avait franchi un palier certain avec la promulgation, le 21 mai 1997, de la Convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation.
Tout comme l’accord-cadre de 2010 qui vise une remise en question de l’accord de 1959, le lancement en avril 2011 par l’Ethiopie de la construction du grand barrage du Millénaire, désormais appelé le barrage de la Renaissance éthiopienne. En effet, la rationalité hydrologique fait partie du discours actuel en Ethiopie. Il n’empêche : si, à long terme, la construction de barrage ne devrait pas vraiment avoir d’incidences sur le débit en aval – car l’hydroélectricité est préférée à l’irrigation, la phase de remplissage du barrage de la Renaissance pourrait plus ou moins l’affecter selon sa durée. Le projet du grand barrage de la Renaissance assurera la continuité du développement de l’Ethiopie. C’est un enjeu national car, longtemps controversé par ses voisins, les bailleurs de fonds étrangers se sont désolidarisés du projet et l’Ethiopie le réalise sur fonds propres et grâce à une taxe imposée à la population. En 2014, pour des raisons de crédibilité, le nouveau président Abdel Fattah al-Sissi se penche rapidement sur le sujet, créé une cellule de gestion d’hydro-crise pour tenter de trouver un accord avec l’Ethiopie. En mars 2015, un accord de principe a été signé entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie, portant sur la répartition de l’eau et plus particulièrement sur le barrage de la Renaissance. Mais rien n’avance. En mars 2017, l’Ethiopie affirme avoir neutralisé une attaque planifiée contre le barrage de la Renaissance par un groupe soutenu par l’Erythrée. Une déclaration qui n’apaisera pas les tensions entre les deux pays. Le porte-parole adjoint du gouvernement, Zadig Abrha, qui a révélé l’information, a affirmé que les forces de sécurité éthiopiennes avaient tué 13 des 20 membres de la Benishangul Gumuz People’s Liberation Movement (BPLM) à l’origine de l’attaque. Les 7 restants ont réussi à fuir vers le Soudan où ils ont été arrêtés et ramenés en Ethiopie. Le 3 juillet 2020 en pleine crise de coronavirus, le Soudan a annoncé la reprise des négociations avec l’Egypte et l’Ethiopie concernant le Grand barrage de la Renaissance (Gerd) que construit Addis Abeba sur le Nil bleu. Appelé à devenir le plus grand édifice hydroélectrique d’Afrique avec une capacité de production de plus de 6 000 mégawatts, le chantier a provoqué de vives tensions entre l’Ethiopie et ses voisins égyptien et soudanais. Le barrage de la discorde entre l’Ethiopie et l’Egypte est apparemment plausible. Khartoum et Le Caire craignent que le barrage de 145 mètres de haut ne restreigne leur accès à l’eau lorsque le réservoir commencera à être rempli par l’Ethiopie.[11] Les discussions qui ont eu lieu se sont tenues grâce à la médiation de l’Afrique du Sud, qui préside actuellement l’Union africaine (UA), a précisé le communiqué. Le 26 juin 2020, Le Caire et Khartoum ont assuré que la mise en eau serait reportée jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé. Mais l’Ethiopie a réaffirmé le lendemain sa volonté de commencer à remplir le réservoir de son gigantesque barrage « dans les deux prochaines semaines », tout en s’engageant à essayer de conclure un accord définitif.[12]
B. Infirmation de cette hégémonie à travers la coopération
Le climat de l’Egypte est de type désertique, très chaud. Les hivers sont modérés et les étés secs, ce qui accentue les effets secondaires sur l’environnement. Les terres agricoles diminuent pour différentes raisons. L’Egypte souffre de plus en plus de la désertification à cause des tempêtes de sable à répétition. Etant donné que le Nil est la seule source d’eau pérenne, la diminution de son débit ainsi que la dégradation de la qualité de l’eau rendent la situation encore plus délicate. Les périodes de sécheresse, les tremblements de terre fréquents, les inondations soudaines et les glissements de terrain ne sont pas des phénomènes inhabituels en Egypte. Le printemps est la saison des khamsin , et des tornades. De façon plus générale, l’Egypte et le nord du Soudan connaissent un climat aride. L’Erythrée et une partie du centre du Soudan ont un climat semi-aride. Le Sud-Soudan et l’ouest de l’Ethiopie bénéficient d’un climat tropical sec. Enfin, le Kenya, le Burundi, l’Ouganda, et le Rwanda ont un climat tropical humide à équatorial. Dans les pays d’amont, les précipitations sont assez importantes, tandis que dans les pays d’aval le cycle est fortement irrégulier, ce qui rend ces Etats. L'Egypte a subi en 1969 et en 1974, le dernier en date est celui de 12 oct. 1992 d'une amplitude moyenne (5,6 sur l'échelle de Richter), la secousse a néanmoins causé des dégâts considérables : 561 morts, certains prétendent que le Haut barrage est responsable du séisme, induit selon eux par le poids de l'eau du lac-réservoir Nasser. Un vent de sable brûlant qui souffle deux ou trois fois dans la saison de mars à avril. C’est le cas de l’Egypte qui justifie de ce fait, sa volonté de garder un contrôle total sur le Nil comme en témoigne les propos d’un diplomate égyptien pour récuser les demandes des pays d'Afrique de l'est « L'Egypte n'a de l'eau que grâce au Nil. Les Africains en ont déjà grâce aux pluies »[13].
Au vu de cette disparité climatique élevée, qui marque une différence des disponibilités en eau puisque les cycles des précipitations sont différents, la coopération serait le véritable idéal. La coopération entre l’Egypte, le Soudan et L’Ethiopie ne date pas d’aujourd’hui et c’est une nécessité au regard du raisonnement qui précède. En effet, depuis longtemps, consciente du caractère contestable de sa position, l’Egypte a cherché à contenir les contestations des Etats d’amont dans un cadre apparemment coopératif et en élargissant le champ des domaines au-delà de l’eau. La dernière de ces initiatives, l’initiative du bassin du Nil (IBN), l’IBN a été créée à l’instigation conjointe de l’Egypte, de l’Ethiopie, du Soudan, et de six pays de l’Afrique des Grands Lacs faisant partie du bassin versant du Nil : le Burundi, la République démocratique du Congo, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda.[14] Les enjeux de fond, à savoir les modalités gestionnaires et de répartition des eaux du Nil, restent conformes aux dispositions du Traité de 1959, mais problématiques . En plus, un accord-cadre de coopération a été signé en 1993. C’est un accord dans lequel les parties font part de leurs intérêts réciproques quant à la gestion des eaux du Nil.[15] Ces déclarations, en quelque part témoignent, de la volonté des États dans cette guerre hydro-hégémonique d’opter pour une gestion intégrée du bassin. Dans cet accord de 1993, l’Éthiopie et l’Égypte s’étaient en outre engagées à examiner la question de l’utilisation des eaux du Nil sur les bases et principes du droit international.[16] Mais c’est avec un reget qu’a été constaté un statu quo vis-à-vis de leurs engagements . L’accord cadre du 14 mai 2010, par comparaison à celui de 1993 marque l’avènement d’une coopération apparemment réélle et renforcée entre les Etats, et surtout, marque le dépassement des rapports conflictuels entre les Etats nilotiques.[17] Le cadre normatif de l’accord du 14 mai 2010 est en effet le premier accord multilatéral concernant le bassin du Nil. Il marque aussi le succès de la convention de 1997 (qui n’était pas encore adoptée en 2010), puisque l’accord du 14 mai 2010 s’inspire largement des dispositions promues par la convention de 1997. La convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eaux internationaux à des fins autres que la navigation adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 21 mai 1997 qui devait en principe servir de levier juridique pour orienter leurs discutions sur le Nil, n’a pas réellement soulevé l’enthousiasme des États nilotiques. En effet, cet accord été ratifié par l’Éthiopie. Seuls le Kenya et le Soudan ont voté pour tandis qu’aucun État nilotique à ce jour ne l’a ni signée, ni ratifiée. La convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eaux internationaux à des fins autres que la navigation adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 21 mai 1997 en l’alinéa 1er de son Article 1 dispose: « La présente Convention s’applique aux utilisations des cours d’eau internationaux et de leurs eaux à des fins autres que la navigation et aux mesures de protection, de préservation, et de gestion liées aux utilisations de ces cours d’eau et de leurs eaux ». En effet, l’eau douce du Nil est d’une importance considérable en vue de satisfaire les besoins de plus en plus croissants des populations des États nilotiques. Cet accord aurait pu contribuer également à la protection d’écosystèmes fragiles et à la préservation de la prospérité économique favorisées par le Nil. En 2002, les États nilotiques ont officiellement ouvert les négociations pour l’adoption d’un accord-cadre de gestion des eaux du Nil.[18] Ces négociations furent longues et souvent tumultueuses. Dans le cadre de cette discussion sur une coopération politique sur le bassin du Nil s’inspirant peu ou prou de la convention onusienne de 1997, l’Egypte et le Soudan avaient tenté d’empêcher une remise en question radicale de l’accord de 1959. Le texte déjà quasiment finalisé en 2007 achoppait sur l’article 14 b que seuls les pays d’amont acceptaient en l’état. En effet, cet article semblait, au moins en creux, remettre en question les droits de l’Egypte et du Soudan . Malgré une situation tendue et potentiellement explosive, de nombreuses initiatives et de nombreux projets communs viennent contrebalancer les désaccords et les motifs de conflit, reflétant une volonté constructive indéniable de la part des pays concernés, mais aussi l’importance accordée par la communauté internationale à la question du Nil. Dans le but d’eviter un conflit permanent autour de cette ressource vitale du Nil, il serait veritablement avantageux pour ses riverains d’asseoir une veritable système de médiation à travers des accords cooperation.
En définitive, seule la volonté de favoriser la coopération par les États nilotiques est le premier des principes qui doit guider ces derniers dans l’utilisation du Nil. Aussi, cette coopération doit reposer sur la base « de l’égalité souveraine, de l’intégrité territoriale, du bénéfice mutuel et de la bonne foi ».[19] Tous ces principes devraient permettre d’atteindre une utilisation optimale, une protection adéquate et la conservation du bassin du fleuve Nil et de promouvoir des efforts communs afin de réaliser le développement économique et social des États du Bassin du Fleuve Nil.
[1] Jutta BRUNNEE, Stephen J TOOPE, « The changing Nile Basin regime: does law matter ? », Harvard International Law Journal, vol. 43, n° 1, 2002, p. 131.
[2] Jeffrey D. AZARVA, « Conflict on the Nile: International Watercourse Law and the Elusive Effort to Create a Transboundary Water Regime in the Nile Basin », Temple Iinternational and Comparative Law Journal, vol. 25, n° 2, 2011, p. 476.
[3] Annabelle Boutet, L’Égypte et le Nil.
[4] L. DESCROIX, « L’irrigation : multiplication des récoltes, concentration des nuisances », in F. LASSERRE / L. DESCROIX (dir.), Eaux et territoires : tensions, coopérations et géopolitique de l’eau, Paris, L’Harmattan, 2003, 280 p., pp. 153-174, p. 156.
[5] «L’eau, problème n°1 du Darfour », 10 fév. 2009, « Les Nations Unies et les grandes puissances ne s’attaquent pas aux vraies causes de la crise du Darfour, entre autres la pénurie d’eau et le sous-développement. C’est en tout cas le point de vue, défendu lors d’une conférence à l’Université américaine du Caire, par Jeffrey Sachs, conseiller du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon. “Les diplomates comme les stratèges militaires et politiques discutent du problème sous l’angle de la stratégie, du maintien de la paix, de la géopolitique et autres, mais pas sous celui de l’eau et du développement“. Jeffrey Sachs, par ailleurs directeur de l’Institut de la Terre de l’Université de Columbia à New York, explique que les populations nomades et pastorales du nord du Darfour, en manque d’eau, ont été contraintes de se déplacer vers le sud. Elles y ont trouvé des populations sédentaires qu’elles ont tenté d’éliminer pour s’approprier leurs ressources en eau. C’est peut-être une explication simpliste, dit-il, mais elle n’est pas fausse », en ligne, [http://www.aqueduc.info/L-eau-probleme-no1-du-Darfour].
[6] Fadwa ABDEL RAHMAN ALI TAHA, The Sudanese Role in Negotiating and Reaching a New Nile Waters Agreement, 1949-1959, ADAB ISSUE, n° 27, 2009, en ligne, [www.adabjournaluofk.com]: « Relations between the Sudan and Egypt deteriorated during the early months of 1958. The Egyptian Government moved troops to Halayib, a Sudanese border area claimed by Egypt. (The area had voted as a Sudanese constituency in the elections of 1954). In such an atmosphere, it was unlikely that negotiations over the Nile would resume. The NUP, now leading the opposition in Parliament, exploited this turn of events to embarrass the Government. World Bank support for financing projects such as the Roseires Dam depended on agreement over the waters problem between Egypt and the Sudan».
[7] Jutta BRUNNEE, Stephen J TOOPE, « The changing Nile Basin regime: does law matter ? », op. cit., p. 135.
[8] https://journals.openedition.org/bagf/565
[9] Aubouard Stéphane, « L’Égypte n’est plus seule à décider du cours du Nil », L’Humanité, 6 juin 2014, consulté le 13 août 2017, URL : https://www.humanite.fr/legypte-nest-plus-seule-decider-du-cours-du-nil- 543745.
[10] ibid.
[11] Cité par Marc WOLFROM, L’utilisation à des fins autres que la navigation des eaux des fleuves lacs et canaux internationaux, op. cit., p. 37.
[12] Maurice KAMTO, « Le droit international des ressources en eau continentales africaines », op. cit., p. 871.
[13] Tarek MAJZOUB, « L’Ethiopie, le Nil et le droit international public », op.cit., p. 352.
[14] https://journals.openedition.org/bagf/565
[15] Harold G. MARCUS, « Ethio-british negotiations concerning the western border with Sudan, 1896-1902 », The Journal of African History, vol. 4, n°1, Cambridge University Press, 1963, 9 p.
[16] M. KAMTO,Sur la notion de bassin intégré : loc. cit., note 12, pp. 855 et s.20.
[17] Ayeb Habib, « Tensions autour du Nil - Vers la fin de la domination de l’Égypte ? », Orient XXI, 10 juin 2013, consulté le 23 juillet 2017, URL : http://orientxxi.info/magazine/tensions-autour-du-nil,0297.
[18] https://journals.openedition.org/bagf/565
[19] A. Cascao estime que le principal danger pour l’Égypte n’est pas l’Éthiopie mais le Soudan car « c’est le seul pays de la région qui possède un gros potentiel agricole. Des projets d’irrigation, qui eux, consommeraient énormément d’eau, sont prêts. Mais l’Égypte ne parle pas de cela, car elle ne veut pas mettre en péril cette alliance » (Le Monde, 9 juin 2010).