Blog Journee Mondiale de l'Eau: Pourquoi l’investissement dans les infrastructures hydriques naturelles est rentable
Ecrit par Renat Heuberger, PDG du groupe South Pole, et de Mark Smith, directeur du Programme mondial de l’eau de l’UICN. Pourquoi un groupe de banquiers et de gestionnaires de fonds s’est-il réuni un après-midi à Zurich dans un café pour parler de la nature? Pour parler d’opportunités et d’innovation !
Ne nous leurrons pas, la nature n’est pas la nouvelle Silicon Valley ! Néanmoins, il est indéniable qu’elle attire l’attention des professionnels de la finance – et notamment de leurs clients qui sont inquiets des futurs risques dans un monde de plus en plus restreint en ressources, et qui sont également motivés pour apporter des changements positifs . Pour des investisseurs intelligents, nouveaux risques est synonyme de nouvelles opportunités, surtout si de nouveaux marchés lucratifs apparaissent.
Le slogan publicitaire d’un géant de la banque illustre parfaitement le moment charnière où nous nous trouvons : « Dois-je investir dans le monde où je vis ou dans le monde que je veux ? »
Tout le monde souhaite un monde où la sécurité en eau est assurée. Mais les entreprises et les investisseurs réalisent de plus en plus que ce n’est pas acquis. L’UICN et le groupe South Pole, avec le soutien de la Fondation Rockefeller, ont donc organisé cette table-ronde à Zurich pour réfléchir à la question suivante : si vous voulez un monde où la sécurité hydrique est assurée, comment faire pour inclure la nature dans votre portefeuille d’investissements ?
La crise de l’eau est apparue comme un risque mondial majeur dans le Rapport sur les risques mondiaux 2016 du Forum économique mondial : c’est en effet la préoccupation principale des chefs d’entreprises mondiales pour la prochaine décennie. En 2015, les sécheresses ont occupé le devant de la scène en Californie et au Brésil, et étaient classées en haut de la liste en termes d’impacts futurs. Justement, l’Objectif 6 des Objectifs de développement durable adoptés en 2015 est dédié à l’eau, avec des objectifs ambitieux pour améliorer l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, mieux traiter les eaux usées déversées, et protéger et restaurer les écosystèmes liés à l’eau.
Soutenir les Objectifs de développement durable améliorera la sécurité hydrique mondiale et aidera à tranquilliser les investisseurs par rapport à la rareté de l’eau. Mais nous n’avons que 15 ans pour réaliser ces objectifs ! Le temps passe et si nous continuons à agir comme d’habitude, nous ne pourrons pas atteindre l’Objectif 6. C’est un programme exigeant des trillions de dollars, et le financement nécessaire ne viendra pas des sources traditionnelles – majoritairement publiques.
Le financement pour l’eau demande rapidement de l’innovation et du capital privé à grande échelle. Nous avons demandé aux participants de la table-ronde de Zurich si le financement privé pour l’eau pouvait inclure l’investissement dans les infrastructures naturelles – zones humides, forêts, cours d’eau, lacs et plaines inondables qui stockent l’eau, réduisent les risques d’inondation et filtrent et recyclent l’eau. En effet, les écosystèmes fournissent quelques-uns des services offerts par les infrastructures hydriques construites et traditionnelles. Si les marchés de capitaux financent les barrages, les réservoirs et les usines de traitement des eaux, peuvent-ils aussi orienter leur financement vers les infrastructures naturelles ?
Les opportunités s’annoncent gigantesques : 925 billions de dollars US, par exemple, sont dépensés tous les ans pour le seul tourisme lié aux zones humides. Cette somme est colossale et montre, pour reprendre l’argument de la Journée mondiale de l’eau, que de nombreux emplois pourraient être créés en investissant dans la nature.
À Zurich, il est également apparu que le financement dans les infrastructures naturelles est l’occasion d’investir dans « le monde que je veux ». Et cela se passe déjà : des entreprises investissent aujourd’hui dans des infrastructures hydriques naturelles en utilisant des modèles de financement innovants afin de réduire les risques dans leurs chaînes de l’offre. Face à un risque de plus en plus grave de pénurie d’eau, Super Cerdo , leader dans l’industrie porcine colombienne, a décidé d’agir et de reboiser ses bassins versants avec l’aide du groupe South Pole. En plantant des arbres sur des terres dégradées en amont aux alentours de Medellin, proches d’une usine porcine, le projet réduit les risques hydriques et conserve la végétation naturelle.
À l’échelle mondiale, le flux de financement dans les infrastructures hydriques devrait dépasser les 10 trillions de dollars US d’ici à 2030. Pourquoi ne pas renforcer la durabilité dans ces investissements en aidant les infrastructures construites et naturelles à mieux interagir ensemble ? Une augmentation de l’investissement de 1% diminuerait les risques financiers et physiques et mobiliserait 100 billions de dollars US de financement pour la conservation et la restauration des zones humides et des bassins versants.
Les participants de la table-ronde de Zurich ont préconisé d’accroître l’innovation avant de procéder à des investissements à grande échelle dans les infrastructures hydriques naturelles. Ils ont été très clairs : tant que le capital à investir ne manque pas, les investisseurs ont besoin d’une analyse économique claire soutenue par de meilleures données et études des futurs flux de revenus. Les gestionnaires de fonds ont besoin d’aide pour développer un flux fiable de projets d’investissement et agréger les projets, avec un volume de financement suffisamment élevé pour que l’investissement soit rentable. Ils ont également besoin d’aide pour évaluer et gérer les risques d’investissement, par le biais par exemple d’un partenariat public-privé.
À Zurich, nous avons conclu que l’innovation – aux côtés des inquiétudes sur les risques – peut inspirer de nouveaux marchés pour le financement des infrastructures naturelles. Mais nous avons besoin de rapprocher développeurs de projet et gestionnaires de fonds, financement public et privé, infrastructures construites et naturelles. La création d’un mécanisme de financement pour les infrastructures naturelles hydriques serait une avancée intéressante : il lancerait les investissements dans les infrastructures naturelles en négociant des accords entre les investisseurs qui ont à l’esprit la durabilité, et les entreprises, gouvernements et communautés susceptibles d’utiliser au mieux les nouveaux financements pour conserver la richesse de la nature dans leurs zones humides et leurs bassins versants. Ce mécanisme de financement les aiderait à saisir l’occasion présentée par les investissements dans les infrastructures naturelles – et permettrait de s’orienter vers le monde qu’ils veulent : un monde où la sécurité hydrique est assurée.
Article de blog de Renat Heuberger, PDG du groupe South Pole, et de Mark Smith, directeur du Programme mondial de l’eau de l’UICN
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