Article 09 Avr, 2021

Les organisations locales «ne sont pas un simple complément» aux efforts de conservation

David Kaimowitz partage ses réflexions sur le rôle du Mécanisme forêts et paysans, l’organisation mondiale qu’il dirige actuellement, il examine ensuite un nouveau rapport portant sur la gouvernance des forêts par les peuples autochtones et tribaux, et il aborde enfin leurs liens avec les forêts primaires.

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Photo: FAO / ENEEI

Le Mécanisme forêts et paysans (FFF, d’après Forest and Farm Facility) est un partenariat d’organisations inédit qui a pour mission de renforcer les organisations de producteurs forestiers et agricoles (OPFA) – notamment pour ce qui est des femmes, des jeunes et des peuples autochtones – et de les aider à devenir des acteurs essentiels du changement, en vue d’obtenir des paysages résilients face au changement climatique et de meilleurs moyens d’existence.

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David Kaimowitz
Entretien avec David Kaimowitz
, Directeur du FFF, organisme siégeant auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

Q. David, qu’envisagez-vous comme domaines prioritaires pour l’action du Mécanisme forêts et paysans?

Nous soutenons les efforts qui sont déployés par les organisations d’agriculteurs, de communautés forestières et de peuples autochtones pour faire face au changement climatique et améliorer les moyens d’existence ruraux. Nous apportons des financements, facilitons les échanges et sensibilisons à l’importance et aux réalisations de ces groupes dans dix pays répartis à travers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine ainsi qu’à l’échelle régionale et mondiale.

Concernant l’avenir, il y a trois priorités... Premièrement, aider ces organisations rurales à accéder aux programmes gouvernementaux, aux projets internationaux, aux investissements privés et aux marchés. Deuxièmement, travailler davantage à l’échelon du paysage, en particulier avec les peuples autochtones – et plus spécifiquement sur les forêts primaires. Troisièmement enfin, encourager un accroissement de l’appui international en faveur des organisations agricoles et forestières locales. La pandémie a clairement montré que les personnes appartenant à ces groupes sont essentielles et en première ligne dans la réponse à la COVID-19. Elles sont cruciales pour reconstruire en mieux dans le contexte des crises entremêlées du changement climatique, de la perte de biodiversité et de l’inégalité.

Q. Pouvez-vous nous parler du nouveau rapport que vous et vos collègues avez récemment publié? Comment cela appuie-t-il le travail du FFF?

Le rapport se concentre sur l’importance considérable des plus de 330 millions d’hectares de forêts situés sur les terres indigènes et les territoires de la diaspora africaine en Amérique latine, en termes d’atténuation du changement climatique et de conservation de la nature – et sur la nécessité urgente de protéger ces forêts. Ces territoires constituent environ un tiers de l’ensemble des forêts de l’Amérique latine, et ils abritent environ 14 pour cent du carbone stocké dans les forêts tropicales à travers le monde. Il y a plus de forêts dans ces territoires que dans toute l’Indonésie ou la République démocratique du Congo.

Traditionnellement, les peuples autochtones et tribaux sont de puissants gardiens de leurs forêts, et de nombreuses politiques gouvernementales à ce sujet ont agi en faveur de la conservation des forêts. Cependant, les menaces pesant sur ces forêts en provenance d’éleveurs, d’agriculteurs, d’exploitants forestiers, de spéculateurs fonciers, ou de sociétés minières et pétrolières, augmentent rapidement. Malheureusement, le soutien gouvernemental aux droits territoriaux autochtones et à la gestion forestière indigène a également décliné dans certains pays. Dans de nombreux cas, on a atteint le point où les peuples autochtones ne peuvent plus enrayer la vague de destruction des forêts sur leurs territoires sans un appui externe important.


NOUVEAU RAPPORT 
Forest governance by indigenous and tribal peoples: An opportunity for climate action in Latin American and the Caribbean


Ce rapport en anglais (qui porte sur la gouvernance des forêts par les peuples autochtones et tribaux – une possibilité pour l’action climatique en Amérique latine et dans les Caraïbes) appelle instamment à fournir un appui plus important en faveur des droits territoriaux, de la foresterie communautaire, de la rémunération des services écosystémiques, de la revitalisation culturelle et des connaissances traditionnelles, ainsi que des organisations autochtones et autres – avec une attention particulière pour les femmes et les jeunes. Les mesures décrites dans le rapport devraient également aider ces communautés à se remettre de la pandémie, qui les a frappées de manière particulièrement dure.

Le travail du FFF en Amérique latine est largement axé sur les aires autochtones de la Bolivie et de l’Équateur, notamment certaines des zones boisées examinées dans le rapport. Nous avons été tout particulièrement actifs en incitant les communautés à élargir leurs activités dans l’agroforesterie et les produits forestiers non ligneux – et en appuyant la (ré)affirmation de leurs identités culturelles et de leurs institutions locales. À l’avenir, le FFF espère aussi devenir plus impliqué dans d’autres aspects de la gouvernance territoriale indigène et dans la gestion des forêts naturelles. 

Q. Notre compréhension des liens unissant les forêts primaires et les peuples autochtones s’accroît. De quelle manière le FFF est-il sensible à cela?

En Bolivie, par exemple, nous travaillons avec des organisations autochtones qui gèrent des millions d’hectares de forêts primaires intactes – dont un grand nombre ont été menacées ces dernières années par de vastes incendies. La Bolivie a un cadre juridique fort lorsqu’il s’agit des droits des territoires indigènes des plaines, mais ces derniers sont encore confrontés à une immense pression en raison de l’empiètement externe, et il y a clairement besoin de gérer ces forêts de façon rentable.

Maintenant que l’UICN inclut spécifiquement les organisations des peuples autochtones en tant que catégorie d’adhésion, de nouvelles possibilités s’ouvrent pour pouvoir renforcer le travail du Mécanisme forêts et paysans avec ces groupes.

Q. Quelles améliorations particulières aimeriez-vous pouvoir constater en matière de problèmes ou de débats concernant les peuples autochtones, les communautés locales et les forêts?

Nous devons arrêter d’envisager le travail avec les peuples autochtones, les agriculteurs et les autres groupes locaux comme un simple complément aux efforts de conservation.

Le fait est que les gouvernements et les sociétés privées à eux seuls ne suffiront jamais pour nous amener là où nous avons besoin d’aller, et il est crucial d’inclure ces groupes locaux. Un pourcentage étonnamment petit du financement destiné à l’action climatique et à la biodiversité atteint en réalité le niveau local, où les forêts sont en train d’être détruites et où les communautés ont du mal à enrayer le processus. C’est pour cela qu’il est si important de travailler directement avec ces communautés et leurs organisations.


Le FFF est un partenariat entre l’UICN, la FAO, l’IIED et AgriCord. Pour en savoir plus sur le travail du FFF, consulter: http://www.fao.org/forest-farm-facility/en/